Il y a des jours ratés dans les grandes largeurs. Aujourd’hui en est un et ce n’est pas le premier. Nous marchons en tout et pour tout depuis trois jours sans que rien ne laisse penser que nous soyons près d’atteindre notre but. Je suis fatigué et si cela ne tenait qu’à moi, j’aurais quitté cette vallée maudite depuis bien longtemps. Quoique, pas évident que je puisse trouver seul le chemin pour en sortir...
Je m’enroulai dans mes couvertures et à la lueur de la torche qui brûlait à côté de moi j’écrivis dans un petit cahier aux pages jaunis la description de cet endroit. J’avais décidé de décrire chaque jour ce que je pouvais avoir vu d’étonnant, mais ce soir, l’encre séchait au bout de ma plume. Mes compagnons d’infortune dormaient déjà. Sans un bruit, je roulai sur le dos pour observer les étoiles quand un frisson me parcourut la nuque.
Je tournai lentement la tête et mon sang ne fit qu’un tour. Une superbe panthère m’observait de ses yeux d’ambre.
Ensuite, tout se passa avec une rapidité effrayante. Je fus debout d’un bond et me mit à courir droit devant moi le plus vite possible. J’enfourchai prestement le cheval affolé au bout de ses rênes et le poussai au grand galop. Souplement, le grand félin s’élança à notre poursuite.
Les paysages se succédèrent alors tandis que la panthère nous rattrapait peu à peu. Au sortir d’un ravin ce qui devait arriver arriva : ma monture prit un virage trop brusque et me désarçonna. Je glissai à terre dans la poussière tandis que le cheval s’enfuyait. La panthère surgit alors du noir juste devant moi. Je poussai un long cri d’effroi et me protégeai le visage, certain de connaître mes derniers instants, mais rien ne se produisit. Un silence mortel s’installa entre le prédateur et moi. Lorsque j’osai enfin ouvrir les yeux, la peur me quitta pour laisser place à l’incompréhension. Assise devant moi la panthère me fixait, sans bouger. C’est alors que je me rappelai qu’elle ne m’avait jamais menacé. J’avais fui, c’est vrai, mais si elle m’avait suivi, ce n’était pas pour me dévorer. Il y avait autre chose.
Lorsque mon regard accrocha le sien, la vision surgit avec une violence telle que je fus secoué d’un violent sursaut. Du sang éclabousse les murs. La terre tremble. Des hurlements retentissent et le mugissement du vent se joint à eux. L’avancée d’une falaise. Une femme me regarde qui brandit une lourde pierre noire aux reflets carmin au bout d’une chaîne en or. A genoux sur le bord du précipice, elle est belle. Elle a les yeux bleus et les cheveux longs et très blonds. Sa fine robe fuschia s’étend autour d’elle. Elle lève la pierre vers le ciel d’orage et un rayon de lumière tombe qui fend l’obscurité. Elle me regarde une dernière fois et je trésaille. Puis tout s’illumine d’une lumière aveuglante.
Je me retrouvais de nouveau face à la panthère. Mais elle disparut dans une légère brume. Je clignai des yeux mais elle n’était plus là. En revanche, je sentis un petit poids dans ma main. Ouvrant mon poing, je vis un anneau d’or représentant deux têtes de panthère aux crocs acérés. Une voix résonna alors dans le ravin, semblant être dupliquée, qui résonnait et devait s’entendre à des kilomètres à la ronde.
« La panthère c’est...la volonté. »
Au matin, revenu au campement je racontai mon histoire à Artanis et Amenraën. Nous avons échangé nos impressions. Ils n’avaient pas entendu de voix après mon départ mais m’éclairèrent sur un point :
« Certains magiciens très puissants ont des animaux fétiches, qui veillent sur eux et sont la représentation du trait de caractère le plus marqué de leur personne, me dit Artanis. Ils ont alors la faculté de communiquer avec eux. »
Donc la voix n’était que dans ma tête. La panthère serait mon attribut et la volonté mon trait de caractère le plus effectif. C’est vrai que pour obtenir quelque chose, je peux déplacer des montagnes, mais en ce moment, je ne suis pas spécialement motivé. L’anneau représente le lien entre le félin et moi. Quand à la vision je sais ce qu’elle signifie : la pierre qui a provoqué la lumière était l’Amulette. Et cette femme n’était autre que la précédente Elue. D’ailleurs elle me « ressemblait », d’une certaine façon. Mais son regard lorsqu’elle avait levé la pierre...Il était insoutenable, et je sentis ma gorge se nouer. Je savais que je ne reverrais pas Pélisse. L’Amulette ne pouvait être utilisée qu’en cas de dernier recours face à un monde perdu pour lequel on ne pouvait plus rien. Car c’était la mort qui attend l’Elu ou l’Elue. Mais cela, je n’en n’avais rien dit à Artanis et Amenraën. Parce que j’avais peur de leur réaction. Oui, j’avais peur. Très peur même.
Grâce à ma description de l’Amulette, Artanis conclut que la pierre est une draconite. Une pierre spéciale, très noire, qu’on trouvait dans la tête des dragons et qui était très précieuse.
Nous repartîmes après midi. Avant cela j’avais entendu une belle voix au timbre chaud me parler, qui m’avait décidé à partir au plus vite : « Nous sommes les mêmes. Nous sommes liés par le Destin. Si j’ai réussi, tu le pourras aussi. Tu vaux mieux que ce que tu crois être. Comme moi l’esprit de la panthère veille sur toi. Elle est Sawana.
Tu n’es pas seul...Je n’attendais plus rien de la vie et j’ai choisis de mourir, mais vivre est possible...possible...possible... »
Je vis un grand promontoire rocheux. Je savais que c’était là que l’Elue avait fait appel à l’Amulette. Là que je devais aller. Mon voyage touchait à sa fin mais je savais que je pouvais le faire. Ce n’était qu’une question de Volonté. Et si je le voulais assez fort peut-être LE verrais-je... Le jour d’après...